Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
LE FRANÇAIS

ciel ; je me surprenais à tout instant en train de labourer de la terre neuve… Un beau matin, je n’y tins plus et je résolus de faire un coup de tête. Dès qu’au petit jour je fus levé, j’allai trouver deux petits sauvages que nous avions adoptés et qui m’aidaient aux divers travaux de la mission, et je leur dis : « Vous attellerez la jument et vous transporterez l’arrache-souche sur le grand chaland qui est ancré dans l’anse ; vous embarquerez la Rouge et vous attendrez en vous cachant le plus possible ». Puis, quand je fus certain que mes petits sauvages avaient fait tout ce que je leur avais ordonné, j’allai résolument trouver le Père Péan qui lisait son bréviaire en se promenant devant la Maison. Pour la centième fois, je demandai au Père la permission d’aller faire un morceau de terre neuve à la baie. Je tremblais de tous mes membres, mais ma voix était ferme. Je lui représentai que c’était pour nous empêcher de crever de faim à l’automne. Le Père paraissait encore de plus mauvaise humeur que de coutume et je pensai que je tombais bien mal. En effet, il se fâcha tout rouge. Il s’arrêta court, leva ses lunettes qu’il colla sur son front, me regarda fixement de ses yeux brillants et, d’une voix qui me fit trembler davantage, me cria : « Voulez-vous bien me laisser la paix, vous ! Allez donc cultiver le Groenland si vous voulez, mais ne venez plus m’importuner avec vos utopies ; vous me cassez la tête à la fin ! Faites de la terre jusqu’à la Baie d’Hudson, si le cœur vous en dit, mais la paix !… la paix !… »

« Comme vous voyez, le père me donnait une per-