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LE FRANÇAIS

partout ; cette existence qui devait être si nouvelle pour lui, qu’il n’avait jamais soupçonnée, imposée par une obligation tyrannique qui lui avait même, à plusieurs milliers de lieues de distance et sur un autre continent, arraché son frère ; obligation qui, d’instinct, révoltait l’âme du paysan attaché à la terre… Léon évoqua, en effet, les misères et les ennuis des tranchées, les charges héroïques et effroyablement bruyantes sous la mitraille, l’ahurissement, l’affolement des troupes… Il rappela aussi les amusements enfantins du repos, à l’arrière où, souvent, l’on était terré au fond d’étables froides… Après la soupe, les anciens, accroupis sur des bottes de paille ou perchés, jambes pendantes, sur des mangeoires, racontaient des histoires. L’on écoutait, l’œil-vague, le menton bas ; et l’on dormait ensuite à moitié, pendant qu’au dehors la nuit, aux aguets, protégeait tant bien que mal l’escouade contre les taubes. Il dit la boue des relevées, l’écrasant labeur des corvées, devant la mort ; enfin, tout le calvaire d’où fusaient quand même le rire et la gaieté ; les marches interminables et accablantes où l’on riait pour des riens : un peu de paille trouvée et qu’on s’arrachait, une soupe trop chaude, un gourbi branlant, une heure de répit, une blague lancée devant un obus mal dirigé, une chanson nouvelle…

Marguerite frissonnait à ces récits ; elle s’imaginait d’autres souffrances qu’il ne disait pas et qui avaient été, sans doute aussi, celle de son pauvre frère ; et des larmes brillantes que l’engagé voyait luire à la clarté stellaire coulaient de ses beaux yeux. À ces ré-