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LA RIVIÈRE-À-MARS

grappin aux souches à cinq heures du matin, je le dételais le soir quand on voyait plus rien. Et tire donc, le Blond, tire donc, pendant toute la sainte journée. Faut dire aussi que j’en avais ben soin, va ! Je lui ai jamais donné un coup de fouet mal à propos et il a toujours mangé à son saoul. Dans les premières années, j’ai vu des fois qu’y avait plus d’avoine dans la grange pour lui donner, le soir, après sa journée. Eh ben ! je te mens pas, Onésime, j’en avais tellement pitié que j’allais lui porter des tranches de mon pain, au souper, que je gardais pour lui. Avec un bon bottillon de foin, ça lui faisait passer la nuit, et il était bon pour recommencer le lendemain matin. T’étais pas arrivé encore ici, toi Onésime. Les premières années, ça été dur à la Baie, tu peux pas le savoir !

Eh ben ! c’est tout ça que j’ai vu dans les deux grands yeux de mon Blond quand il s’est retourné vers moi pendant que je le visais pour le tuer. Qu’est-ce que t’aurais fait à ma place, toi, Onésime ? Mon fusil est tombé de mes bras. J’avais les yeux mouillés. Je voyais plus clair. J’ai été prendre le Blond par la crinière et je suis revenu à la maison avec lui. Élisabeth a ri de moi un peu,