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LA RIVIÈRE-À-MARS

m’amusais à regarder où mettre les pieds à travers l’ombre d’alentour. C’était de bonne heure. Les montagnes faisaient que commencer à laisser dévaler l’aube sur les champs. Dans la prairie, l’herbe était si drue qu’on semblait pas toucher terre en marchant. Comme je me retournais pour voir si le Blond me suivait, je l’ai aperçu qu’essayait d’attraper une gueulée d’herbe. Ses vieilles dents glissaient dessus. On arriva à la grève. Au bord de la baie, il faisait une petite brume blanche. Le soleil était sur le point de se lever. J’ai mis le Blond tout près d’un bouquet de bois. Il se tenait droit sur ses pattes comme s’il avait été pétrifié là, frappé par le tonnerre. Moi, je m’en fus un peu plus loin sur le sable. J’ai pris mon fusil que j’ai mis pas mal de temps à charger, comme tu peux penser. Enfin, je l’ai levé et j’ai épaulé. Je tremblais comme une feuille de bouleau. Par quel adon, je me le demande ? Juste comme j’allais tirer, voilà que mon Blond se tourne la tête drette vers moi. Je vois encore ses deux grands yeux vitreux qui me regardaient. On aurait dit, ma foi du bon Dieu, que la pauvre bête m’accusait doucement. Ah ! quand j’y pense,