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LA RIVIÈRE-À-MARS

parmi le réflecteur de soleil et de couleurs qu’était la baie ; débarquement dans l’anse ; première nuit passée sur la grève avec les maringouins, travaux de la pinière, premiers défrichements et premières moissons des fruits de la terre. On se remémorait aussi les épreuves : la perte des billes de pin aux grandes eaux du printemps, le feu, la mort. Parfois, Alexis Picoté, pour ne pas trop s’attendrir à l’évocation de certains souvenirs, cognait plus dur de son marteau sur la forme qui frémissait entre ses genoux, ou bien cassait d’un coup sec le ligneul enduit de résine.

Quand il faisait beau après le souper, il s’en allait sur la route, jusqu’au pont de la Rivière-à-Mars. Il passait devant sa terre. Elle ne lui semblait pas toujours la même. Il avait peine, parfois, à en reconnaître certains coins. D’autres mains la modelaient à leur façon, lui changeaient ses apparences, ses cultures. Cela lui causait du chagrin. La terre serait-elle oublieuse comme les enfants ? Il revenait plus nostalgique, et alors, dans la petite boutique, le marteau sonnait plus sourd et plus lent sur la forme fourrée de cuir.

Il menait depuis bientôt un an ce train de vie