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LA RIVIÈRE-À-MARS

Mais avec les rêvasseries qui lui faisaient baller la tête, c’était, on le pense bien, le contraire qui était à craindre. Aussi, cette fille-là donnait encore plus de soucis à Alexis Picoté que le mari de Jeanne.

Pendant tout cet hiver, Pierre alla presque chaque semaine faire sa cour à Chicoutimi. Il restait là souvent deux ou trois jours, d’autant plus que le travail ne pressait pas sur la terre de la Baie. Alexis Picoté avait abandonné, cet hiver-là, ses chantiers de bois au lac Gravel. Il restait au village. Il se sentait malade, déprimé. Il se disait plus vieux que son âge. Il prenait un âpre plaisir à se plaindre de l’usure de son corps. Il partageait son temps entre la cuisine, où il fumait d’éternelles pipes, et l’étable, où il allait parler à ses bêtes comme à des êtres moins cruels que les hommes. Il semblait leur confier son appréhension d’un prochain adieu qui pointait déjà entre elles et lui, ses tourments à la pensée qu’il devrait les abandonner un jour, faute de bras pour les nourrir et pour cultiver la terre. Sa terre, il l’avait tant travaillée qu’il avait pour elle un culte. Il pensa aux dures années et aux rudes épreuves des temps de la pinière, aux premiers jardins, aux premiers labours,