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LA RIVIÈRE-À-MARS

démontrer combien tout avait changé. Pierre restait songeur. L’évocation du petit cercle d’horizon qui avait enfermé son enfance ou sa jeunesse ne l’intéressait pas. L’émotion qui assaille tant de gens sitôt qu’on prononce devant eux le nom de leur village ou de la paroisse natale, cette émotion-là, il ne la comprenait pas. N’ayant marqué aucun coin de sa griffe, de ses amusements de gamin ou de son travail de jeune homme, aucun souvenir vivace, cela va de soi, ne pouvait alors et ne pourrait jamais lui embellir un paysage. C’est surtout ce pauvre Pierre qui rendait la vie triste à Alexis Picoté. Mais il lui survint bientôt d’autres soucis.

Pendant l’hiver, au lac Gravel, Alexis faisait pourtant tout ce qu’il pouvait pour distraire son fils, s’attachant, avec une gaîté feinte, à des occupations puériles, sculptant au couteau, dans des morceaux de cèdre ou de pin des figurines auxquelles il prêtait des attitudes et des physionomies comiques, ou modelant les têtes qui ne lui revenaient pas avec de gros morceaux de gomme d’épinette rouge qu’on décollait dans la journée de l’écorce des arbres abattus. Mais c’était peine