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nous pas faire jouer à notre langue populaire un rôle qu’elle ne peut ni ne doit remplir, comme nous ne souhaitons pas de la voir fleurir en nos chaires et s’épanouir dans nos salons à la mode.

Mais pourquoi chercher, sans motif, sous le simple prétexte de prétendu bon langage, à épurer le parler populaire des populations rurales du Canada Français, en ridiculisant certains mots qui semblent trop rocailleux, rococos, mais qui ne sont pourtant ni des anglicismes, ni des fautes contre le français, du moins la vieille et bonne langue française du temps des fondateurs de la colonie canadienne. Que l’on fasse, tant que l’on voudra, la guerre aux anglicismes, dans les campagnes comme dans les villes, mais que l’on réfléchisse quand il s’agit de porter des coups à de prétendus « canadianismes » qui sont le plus souvent des mots de pur français, désuets si l’on veut, mais qui sont les derniers restes de la survivance française du XVIIe siècle ; ces mots-là, et ces expressions, et ces tournures, qui sont restés dans nos campagnes canadiennes, sont bien à leur place. Ce serait une faute que de les en chasser. On leur a déjà trop fait la guerre.

Mais il existe quand même encore des coins du « pays de Québec » où l’on parle en toute liberté la bonne langue du terroir, l’idiome vulgaire dont on dit souvent et avec raison qu’il est la vieille bonne langue de Louis XIV. Et tous les dialectologues avoueront qu’un récit dans ce langage, sans les affreux anglicismes, sans les termes trop modernes, si inhabilement employés souvent, est un charme. Et si peu patois est cette langue du terroir québécois qu’elle peut être comprise par le plus instruit des Français de la France moderne. Car tous ces vieux mots incultes, ces désuettes tournures de phrases, s’ils sont oubliés, s’analysent aisément et se comprennent sans effort.