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ses lettres qu’il n’a pas toujours dormi sur des lits de roses.

Mais il n’y avait pas à dire, avec le printemps suivant, la terre se réveillait et il a bien fallu me planter pour faire face au travail qu’elle demandait.

Un soir, j’ai dit à sa mère : « Il faut que j’aie un engagé, j’en peux plus ». J’ai pu trouver un jeune homme au Grand Brûlé qui avait passé l’hiver aux chantiers et qui devait avoir rien à faire pendant l’été. Il était assez bon travaillant et connaissait passablement les ouvrages de la terre. Je pouvais pas le payer cher. Aussi, au beau milieu de l’été, le voilà qu’il me flanque là en disant qu’il avait trouvé une meilleure job à Saint-Alphonse. J’ai trouvé un autre homme pour les récoltes, et il est parti, lui aussi, aussitôt après la dernière grangée. Mon labour d’automne, ce sont les voisins, à dire vrai, qui me l’ont fait.

Et ce fut ainsi, couci couça, pendant trois ans. J’ai essayé pas moins de vingt-cinq engagés ; aucun n’a collé. C’était comme des oiseaux sur une branche ; un mot, un ordre, un caprice, un rien et ça partait !

Vous comprenez que dans ces conditions-là, il y avait plus de culture possible. Ma terre s’en allait au diable, je vous le répète. Les dettes s’amassaient chez les marchands et chez les agents bien plus que les boisseaux de grain dans la grange et les légumes dans la cave.

Mais, pendant ces terribles années, j’avais toujours, quasiment malgré moi, espéré que Joseph nous reviendrait, un jour, écœuré des États où je me doutais qu’il avait de la misère et qu’il mangeait de la vache enragée. Mais un jour, on reçut une lettre de lui, nous annonçant qu’il quittait le Maine pour s’en aller dans le sud où il avait obtenu une position payante. C’était tout ; bonsoir, la compagnie !