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la baie

qui naissent de l’approche des villes ou des centres industriels. Il y allait tout naturellement, sans effort de recherche dans le mot et dans la phrase, ne se servant que des termes dont il connaissait exactement le sens, donnant à ses phrases la construction qui exprimait sa pensée et ses sentiments.

C’était une claire après-midi d’un mois d’octobre exceptionnellement beau en Amérique du Nord. Les érables avaient pris leurs teintes de fauve, de roux, de rouge et de mauve et toute la campagne se reposait dans un silence et une grandeur solennels, ce silence recueilli des fins d’été canadien, cette grandeur tragique et calme de la nature laurentienne qui va s’endormir pour au moins six mois sous une chape de cinq pieds de neige. De bonne heure, ces après-midis-là, l’ombre et la brume noient les plis des collines et des coulées et comme un fauve qui regagne à pas alongés et feutrés son repair au fond des bois, la noirceur marche vite au long des pentes ; la brume a tôt fait d’enrouler sa filasse grisâtre autour des quenouilles dorées des peupliers et des érables, et l’on voit le crépuscule monter, rapide, vers les dentelles déchirées des monts laurentiens du nord.

Et, dans le silence recueilli du jardin où nous étions assis, c’était tout un enchantement pour moi et comme un rêve flottant que d’entendre la voix chevrotante de l’octogénaire, avec des mots qui lui montaient tout droit du cœur, dévider l’échevau des souvenirs de sa vieille vie de joies simples, d’obscurs sacrifices et de peines journalières.

Lorsque l’on fouille aux profondeurs encore trop inexplorées du langage populaire bas-canadien, que l’on voudrait bien, en certains milieux, assimiler à un patois, on éprouve le plaisir que doit ressentir le botaniste quand il découvre des plantes rares dans les anfractuosités d’un rocher… Il ne vient pas à l’idée du botaniste de faire de ses découvertes des plantes d’ornementation. De même, n’entendons-