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donnaient des conseils et essayaient de me remonter un peu.

« Engage-toi un engagé », disait l’un d’eux.

— Mais avec quoi le payer ? que je répondais ; j’ai pas le sou.

— « Y aurait donc pas moyen de remonter un peu ton garçon ? » demandait un autre. Es-tu bien sûr qu’il est tout-à-fait perdu pour la terre ?

Et je répondais à celui-là :

— Vas donc le voir travailler, toi, et tu verras.

Et, un été, à la veille des foins, François Villeneuve, fils de Louis, me dit : « On va t’aider, tu sais, comme au temps de nos pères ».

Le lendemain, comme il faisait beau et que mon foin était mûr, ils sont venus chez nous, les Tremblay, les Villeneuve, les Maltais, les Harvey, et, dans la journée, ils m’ont fauché tout mon foin.

Le matin qu’ils sont venus, Joseph qui était arrivé tard dans la nuit d’une veillée à Laterrière, se reposait, pensez donc ! Quand il s’est levé, un peu avant midi, le lendemain, les voisins travaillaient encore chez nous. Le croirez-vous ? Il eut le front de venir nous voir aux champs et de s’écrier en nous apercevant à l’ouvrage, suant tous comme des possédés :

« Quins ! une courvée !… ça a du bon sens ! »

Je mourais de honte. Les voisins me prenaient en pitié, et l’un d’eux, je ne me rappelle plus qui, cria à mon garçon : « T’as pas de cœur, vas-t’en donc te coucher ! »

Le soir, à la maison, après le souper, j’ai eu une scène avec Joseph ; il était temps.

Vous me croirez ou vous me croirez pas, mais jusque là, j’avais été gêné avec lui. Je n’osais jamais rien lui dire ; c’est comme s’il m’en eut imposé avec ses fanfaronnades de jeune coq. De fait qu’il était le coq partout où il allait. Il avait le talent de dominer, de passer par dessus les autres. Dans les veil-