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ment qu’elle en parlerait à son mari. Elle partit le lendemain. L’idée a fait plaisir à Camille, faut croire, puisqu’ils arrivaient une semaine après et s’installèrent à la maison.

Jeanne, faut dire, ne fut pas trop dépaysée ; elle savait encore toutes sortes de choses ; faire le ménage, tirer les vaches, soigner les volailles. Encore un peu, elle se serait remise en train malgré qu’elle fut bien désaccoutumée depuis seulement moins de deux ans qu’elle était partie de la maison.

Mais c’était Camille qu’en faisait de belles ! Une vraie catastrophe. Il savait rien de rien et il était d’une paresse d’ours en hiver. Jamais j’ai rien vu d’aussi gauche. Il ne pouvait pas distinguer une herse d’avec une charrue, et, naturellement, dans les champs, le blé, l’avoine, l’orge, le sarrasin ; c’était absolument la même chose. Mais ça s’apprend, et s’il n’y avait eu que ça ! Il se montra paresseux que c’en était un plaisir de le voir. Il allait aux champs, en plein été, et il en revenait aux heures où il se rendait au moulin de Chicoutimi et d’où il en revenait ; et vous comprenez que ça ne pouvait pas faire, parce que nous autres, les cultivateurs, on n’a pas d’heures fixes pour le travail ou pour le repos. Si j’avais eu encore de la terre neuve à faire, je suis certain que Camille aurait pas été capable de se plier pour ramasser du petit bois. Quand il menait les chevaux, il savait même pas de quel côté hue et de quel côté dia. Les coqs et les poules, c’était la même chose pour lui ; il savait rien de rien. Et de ce qu’il y avait de pire, c’est qu’il voulait rien apprendre.

Dans ces conditions, vous comprenez, autant donner tout de suite ma terre à ferme que de la laisser entre de pareilles mains ; c’eût été la manger dans au moins deux ans.

J’ai donc dû avertir Jeanne que je pouvais pas faire d’affaires avec son mari. Je craignais que ma fille fut chagrine. Allez-y voir ! Rien ! Au fond,