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la baie

Les enfants, vous savez, ils nous donnent de la misère quand ils sont jeunes ; ils nous en font encore plus quand ils sont vieux. Quand ils sont devenus à l’âge où ils peuvent se conduire tout seuls, on voudrait qu’ils reviennent à celui où ils nous faisaient passer des nuits blanches, après des journées de dur travail, quand ils pleurent des heures de temps parce qu’ils font leurs dents ou qu’ils ont des coliques. Il faut se lever alors et les bercer ou les promener dans nos bras jusqu’au petit jour. Mais quand ils sont vieux, oh ! c’est une autre affaire ! Les coliques et le perçage des dents, on voudrait bien les voir revenir. Toutes les nuits sont blanches et tous les jours sont noirs, alors ! Quand ils ne s’en vont pas se noyer à l’âge où l’on espère tant d’eux autres, ils nous plantent là au moment où l’on en a besoin pour continuer notre effort et garder la terre que nous ont laissée les vieux. Et souvent, il nous faut dételer, nous autres, les pères, comme j’ai fait, à cette époque-là, de mon vieux Blond auquel, un jour, j’ai dû enlever du dos, une dernière fois, son harnais de travail pour le laisser mourir de sa belle mort de vieillesse.

Ma mère, qui était âgée, comme je vous l’ai dit, de quatre-vingts ans, quand se noya mon plus jeune, ne put survivre longtemps à la perte de son petit-fils qu’elle aimait comme moi. L’hiver qui suivit, le bedeau de la paroisse dût creuser dans la terre gelée dure, pour mon compte, une autre fosse à côté de celle du petit. Et, après ce second enterrement, je me trouvai seul, à la maison avec ma femme, bien vieillie et bien affaiblie, Joseph et Jeanne qui allait sur ses dix ans.