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la baie

Et nous avons compris tout de suite. Un malheur était arrivé. Le curé, une fois entré, n’eut pas la peine de nous l’annoncer. Arthur s’était noyé dans la rivière. Le prêtre nous apprit que l’on avait trouvé, pendant la prière, son pauvre petit cadavre que le courant avait entraîné jusqu’à la Baie. Il tenait encore serrée dans une main sa perche de ligne et il y avait une truite prise au bout de son fil, morte aussi. On supposa que le pauvre petit se tenant debout sur une pierre limoneuse a glissé dans l’eau quand il a senti mordre à son hein et qu’il s’est assommé sur une pierre en tombant vu qu’il portait une blessure à la tête. Et le courant, très rapide au trécarré de ma terre, l’a entraîné.

Peine perdue de chercher à vous décrire le désespoir qui emplit la maison quand deux hommes, quelques minutes après la visite de Monsieur le Curé, apportèrent sur un brancard le corps de notre pauvre enfant. Jamais j’ai senti coup plus terrible au cœur. Et sa mère, et sa grand’mère ! Les deux femmes faisaient pitié. J’aurais voulu les consoler, mais je ne pouvais pas dire un mot ; j’avais comme qui dirait un bouchon dans la gorge et le cœur pris comme dans des tenailles.

Arthur était celui de mes deux garçons que j’aimais le plus parce qu’il était de mon caractère, parce que, tout jeune, il me semblait aimer la terre autant que je l’aimais, moi, à son âge. Et le fait est que j’avais toutes les misères du monde à le tenir à l’école parce qu’il voulait à tout prix travailler aux champs avec moi. À l’école, il apprenait vite quand même ; il avait du talent ; il savait déjà lire dans le manuscrit, écrire et ses quatre règles simples, et je pensais le retirer de ses études dans un an pour m’aider. Il avait un caractère doux, était pieux et obéissant. Il était le contraire de mon plus vieux qui n’aimait rien de ce qu’on aimait, la terre encore moins, qui était entêté et qui se faisait toujours prié pour aller à l’église.