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veille sur les pauvres gens ; aussi, jamais il ne faut se décourager même après les pires catastrophes.

Expliquez ça comme vous voudrez, mais cette épreuve du feu du printemps m’avait fait aimer la terre, surtout celle de chez nous, comme jamais j’aurais pu croire que je l’aimerais. Comme j’étais fils unique, je savais que le lot de mon père me reviendrait un jour et je me mis à le travailler avec un acharnement dont on n’a pas d’idée ; je faisais tout seul presque toute la besogne.

Il faut dire aussi que mon père commençait à faiblir. Depuis si longtemps qu’il travaillait, à la Malbaie d’abord où il avait ouvert et cultivé tout un lot, et ensuite à la Baie où vous savez ce qu’il en a arraché. Aussi, je vous le dis, il faiblissait. Plus que ça, le feu, au contraire de moi, l’avait passablement démonté. Il n’en revenait pas vite. Je le voyais triste toujours et ma mère me disait souvent :

« Ton père est bien changé depuis le feu ».

Pourtant, à Saint-Alexis, on pensait plus guère au feu quatre ans après. Mon père, lui, y revenait sans cesse :

« Comme ça nous a arriéré ! disait-il souvent ».

Mon Dieu, on aurait dit, des fois, qu’il sentait sa fin. J’allais avoir vingt ans quand un soir de printemps que nous étions à fumer devant la maison, après une rude journée de labourage, il me dit :

« Phydime, tu songes donc pas à te marier bien vite ? »

La question de mon père ne me surprit pas beaucoup puisque je m’étais mis à aller voir les filles depuis une couple d’années et que même pendant l’hiver qui venait de finir, je m’étais fait une blonde de l’autre côté de la Rivière-à-Mars, à Saint-Alphonse. Depuis la fonte des neiges, je pensais même à ce que me rappelait mon père.

Je fis quand même des manigances quand le père posa sa question et je lui répondis :