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min étaient à la belle étoile. Il fallait reconstruire vite, vous pensez. Heureusement, on avait du bois. Une partie des billots coupés durant l’hiver pour être vendus, comme de coutume, à la Compagnie de Chicoutimi, servit à nos constructions. On organisa en quelques jours, au moulin de l’Anse-à-Benjamin qui n’avait pas été tout à fait détruit, une scie ronde qui transforma les billots en planches et en madriers.

Mais vous comprenez que c’était de l’argent de moins pour nous que tout ce bois qu’on devait vendre. À l’automne et à l’hiver on devait sûrement vivre maigre.

Heureusement, nos terres, passablement défrichées, commençaient à rapporter des bénéfices ; plus heureusement encore, la récolte, cet été-là, fut extraordinaire. On aurait dit que le feu du printemps avait engraissé la terre comme ces terrains à bleuets où il faut mettre le feu une année, pour que les récoltes des années suivantes soient meilleures. Dans nos champs, à la fin de l’été, l’on ne voyait pas les souches tant le foin et les grains étaient hauts et épais. Les patates dont nous avions fait une grosse semence, étaient grenues sans bon sens. Aussi, de bonne heure, à l’automne, Alexis Tremblay avait organisé le chargement d’une goélette dans laquelle il mit tout ce que nous croyions avoir de trop, en foin, en patates et en avoine qui avait été battue aussitôt que récoltée, au « paspor » commun de la paroisse. Alexis Tremblay partit pour aller vendre le tout à Québec. Quant il revint, au moment où l’on craignait que les glaces de l’hiver allaient l’empêcher de gagner la Baie, on apprit avec contentement, vous pensez bien, qu’il avait tout vendu à un très bon prix. Il ne lui restait pas une patate ni un grain d’avoine. L’argent qu’il rapportait remplaça, pour une bonne partie, celui qu’on perdait en ne pouvant plus vendre nos billots. Il y a toujours, comme vous voyez, le Bon Dieu qui