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la baie

heurs. Le soir calme me parut triste à mourir ; et ces chauves-souris qui ne cessaient pas de crier dans l’air ; et ces criquets qui semblaient se moquer de nous ; et ces grenouilles, ces crapauds et ces wawarons qui faisaient maintenant, la lune levée, un tonnerre du diable, du côté de la Rivière-à-Mars ; et, enfin, cet air bête de Miro !… Vrai, quand on parla d’aller se coucher et que les voisins s’en allèrent, j’aurais hurlé, moi aussi, comme Miro.

Mes parents rentrèrent et je leur dis que n’ayant pas sommeil, je voulais fumer encore une pipe à la porte.

Miro étant venu se coucher à mes pieds, je songeais, après avoir allumé ma pipe, à toutes sortes de choses tristes, quand en jetant les yeux du côté de l’Anse-à-Benjamin, j’aperçus une grande flamme monter droit en l’air, à la tête d’un bouquet de pins, sans doute, puis descendre, avancer plus loin, monter, sauter plus loin encore avec la vitesse d’une goélette bien carguée par un fort vent d’ouest. La flamme courait, courait, contournant tout le fond de la Baie, gagnant la « concerne » de Saint-Alphonse ; elle montait, descendait, de plus en plus vive, de plus en plus large.

Miro, de nouveau, se dressa sur ses pattes de derrière et se remit à hurler. Le père et la mère, inquiets, apparurent sur le seuil en costume de nuit.

« Le feu, mon Dieu ! » cria ma mère, en se signant et en courant au fond de la maison d’où elle rapporta une bouteille d’eau bénite qu’elle répandit aux quatre coins.

D’autres cris de cette nature partirent de différents endroits du village ; « Le feu ! le feu ! »

Le feu s’avançait avec une rapidité épouvantable. « Saint-Alphonse brûle ! cria mon père ».

Les vingt-cinq à trente maisons de Saint-Alphonse dataient de quelques années après les nôtres.