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De fait, les Vingt-et-Un, comme on les appelait, remplirent fidèlement leur contrat pendant plus d’un an et fournirent aux Moulins de Chicoutimi les billots de pin qu’ils s’étaient engagés à couper. Mais ils se considéraient avant tout des colons, des cultivateurs et le goût de la culture ne tarda pas, comme on dit, à leur faire « tricher la couronne ».

Aussi, dès le premier hiver passé à la Baie, tout en abattant les pins et les épinettes rouges, mon père et ses associés débarrassaient la forêt qui couvrait la rive nord de la Rivière-à-Mars en vue d’en préparer le sol à la culture. Je ne suis pas prêt à dire que la Compagnie ne s’aperçut pas de la « trick », mais probablement, dans ce cas, qu’elle ferma les yeux, ses directeurs prévoyant sans doute qu’ils ne pourraient encore bien longtemps empêcher le « royaume du Saguenay », de s’ouvrir, un jour ou l’autre, à l’agriculture.

Et nos pères travaillaient en toute liberté à l’agrandissement du domaine forestier dont ils avaient acheté les droits de coupe, l’utilisant au double point de vue de l’industrie du bois et de la culture du sol. Mais il faut vous dire qu’après trois ou quatre ans ils abandonnèrent à peu près complètement la coupe du bois pour consacrer tout leur temps à la culture qui était leur métier.

Et voilà pourquoi leur « concerne », à peine dix ans après l’arrivée de notre goélette, au lieu d’avoir l’air d’un campement de « lumber jacks » était devenue un beau petit village fait de bonnes maisons de madriers, avec une école et une grande chapelle qui allait recevoir son curé résident.

Le Saguenay agricole était fondé, mes amis, et le Lac Saint-Jean peu après, ce qui veut dire, au jour d’aujourd’hui, un territoire immense, grand comme la moitié de la France, à ce qu’il paraît, riche de bois, de culture, de chasse et de pêche, et qui comprend une cinquantaine de belles paroisses comptant une popu-