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la baie

Peter McLood, pour en parler encore, buvait comme un possédé à croire qu’il voulait absolument savoir qui l’emporterait : son estomac ou l’alcool. C’était une rage ; il prenait des coups à tuer un bœuf. Le capitaine nous fit rire en nous contant qu’un jour, un des amis de Peter, contre-maître au moulin, voulut lui faire la leçon, alors qu’il était ivre ; « Tu ignores donc », lui disait-il, « les ravages terribles de l’alcool dans le corps même d’un animal ; tiens, un jour, on a fait boire du whisky à un cochon qui est mort brûlé ».

— « C’est ce qui prouve, répondit McLood, en hoquetant, que le whisky, c’est pas fait pour les cochons ».

Peter McLood devait mourir comme le cochon de son ami le contre-maître. Quelques années après les histoires du capitaine, on apprit qu’il était mort, tout son corps consumé par l’alcool. Il criait comme un possédé que le feu lui dévorait le ventre. Quand il vit que la fin allait venir, il fit ouvrir la fenêtre de sa chambre et regarda longuement la ligne des montagnes qui moutonnaient de l’autre côté du Saguenay et qui était couverte de ce bois si riche dont il trafiquait depuis tant d’années. Tout à coup, il poussa un cri horrible et son corps se tordit comme une anguille prise dans le coffre d’une pêche à éperlans. Il cria : « Fermez, je ne veux pas mourir devant les montagnes de mon pays ». Puis il tomba mort sur son lit qui était une table.

Vous pensez si nous nous intéressions à ces histoires que nous contait le capitaine de la goélette sur ce qui se passait dans cet étrange Chicoutimi qui était seulement à trois lieues de la Baie mais qui nous semblait, à nous, les petits, au bout du monde. Le capitaine avait fait dans sa jeunesse avec sa goélette du cabotage dans le Golfe Saint-Laurent, tout près de