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Et le jeune magister, simplement, d’abord, comme s’il eut expliqué à ses élèves quelques innocents problèmes, puis, s’enflammant peu à peu, à mesure qu’il parlait, continua :

« C’est que monsieur, on est revenu depuis longtemps des terreurs peut-être légitimes, en tous cas exagérées, qu’inspiraient cette rivière Saguenay et ses décors étranges d’abimes, de rochers et de montagnes. On a appelé le Saguenay, la « Rivière de la Mort », et, pourtant, c’est le fleuve de la vie : regardez ces montagnes toutes couvertes de bouleaux et de sapins ; c’est la vie végétale dans toute sa luxuriante richesse ; jusqu’au fond du fleuve où fourmillent les espèces itchtiques, dont raffolent tous les sportmen, comme au plus épais fourrés des forêts où les bêtes cachent jalousement à la cupidité des chasseurs de royales fourrures, c’est la vie… Trop longtemps, on a fait de notre rivière un monstre qui dévorait les marins assez audacieux pour s’aventurer dans ses griffes… Les bourrasques qui sortent des gorges du Saguenay sont violentes mais elles durent peu ; elles font moins de mal que ces coups de vent mauvais du Saint-Laurent, qui passe là, et dont pourtant on n’a jamais cessé de vanter et la beauté et la bonté !… On a dit notre Saguenay parsemé de tourbillons dangereux, de remous qui couvraient des abîmes sans fond ; on a parlé de ses pointes battues d’ouragans violents ; de ses anses peuplées de monstres ; de ses bords escarpés où l’herbe et les arbres avaient peur de pousser comme s’ils fussent maudits ; de ses flots noirs et laids, éléments sournois