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XX


C’était une après-midi triste de la Toussaint. Même dans le nord du Saguenay, il n’avait pas encore tombé un seul flocon de neige et, au dire des vieux, on ne se souvenait pas d’avoir jamais joui d’un aussi bel automne ; aussi, croyait-on généralement que l’hiver serait rude et que la première neige qui viendrait blanchir la terre resterait. Elle ne devait pas tarder, disait-on aux Bergeronnes, et l’on attendait, de jour en jour, la bordée de la Toussaint.

Cette grise après-midi de novembre, le menuisier Jean Thérien, seul dans sa cuisine, évoque tristement les hivers d’autrefois, les joyeux renouveaux pleins d’espérance et les ardents étés féconds en travail. Les coudes sur la table, avec torpeur, il songe aux indécis lendemains, à la vieillesse prématurée, au destin de sa fille, sa chère Jeanne, son unique enfant, sa pauvre petite abandonnée, comme il l’appelait souvent.

Que deviendra-t-elle quand il ne sera plus ou quand ses bras se refuseront au travail du rabot et de la hache ? Son pénible labeur ne lui aura permis que de lui laisser une humble maisonnette ; il lui faudra travailler, s’engager peut-être comme servante dans une ferme. Ah ! qu’il eût été heureux,