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L’APPEL DE LA TERRE

delles », deux bœufs roux semblent sommeiller, les yeux ouverts ; par instants, ils secouent d’un long frémissement leur échine puissante harcelée d’essaims de mouches.

Pendant la fenaison, le repas des faucheurs est vite pris ; le temps presse et l’appétit est robuste ; faucher durant toute une matinée fait descendre l’estomac dans les talons, aussi s’empresse-t-on de le remettre à sa place. Ensuite vient la demi-heure de repos mérité et réparateur, le moment des confidences ou d’un court sommeil.

Jacques Duval et André allument leur pipe et se mettent à causer.

André est rêveur ; il regarde son père qui, le chapeau sur l’oreille, hume consciencieusement les bouffées de tabac de son brule-gueule très honnêtement culotté. Après quelques instants, André laisse échapper aigrement ces paroles.

— Sais-tu, père, que Paul vient souper à la maison, ce soir ?

— Mais oui, mon garçon, même que j’ai dit à ta mère de faire rissoler une omelette au jambon, puisque notre Paul est maintenant accoutumé aux grandeurs.

— Drôles de grandeurs… un maître d’école ! fit André avec amertume ; j’aime bien mieux, moi, rester un simple habitant, un pauvre cultivateur, un toucheur de bœufs…

— Chacun son goût, mon garçon, et, d’ailleurs, qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse ? Ton frère a voulu devenir un « monsieur », eh ! ben…