Page:Potier de Courcy - Nobiliaire et armorial de Bretagne, 1890, tome 3.djvu/287

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE LA NOBLESSE[1]




Reddite ergo quæ sunt Cæsaris Cæsari.
(Math. XXII. 21.)



A la fin du dernier siècle, l’un des plus ardents novateurs des Etats-Généraux publiait une brochure qui eut un grand retentissement sous ce titre : « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? — Tout. — Qu’a-t-il été jusqu’ici ? — Rien. — Que demande-t-il ? — Devenir quelque chose. » L’abbé Sieyès, après avoir contribué de tous ses efforts a la réunion des trois ordres, après avoir voté les décrets de 90 et 91, portant suppression de tous les titres et qualifications nobiliaires, après avoir voté la mort du Roi, sans phrases, devint… Comte de l’Empire. Les defenseurs actuels des immortels principes de 89 n’ont point sollicité de titres nobiliaires comme leurs devanciers : ils s’en sont emparés, tout en protestant de leur amour pour l’égalite. La noblesse de race elle-même oublie trop souvent que dans l’ancien régime, le nom était tout au point de vue nobiliaire, et que le titre n’était rien. Ainsi, tous les financiers pouvaient devenir et devenaient généralement marquis au XVIIIe siècle, et n’étaient pas pour cela gentilshommes. Cette qualité de gentilhomme (gentis homo) qui est dans le sang, qui ne peut être donnée que par une longue suite de générations nobles et non par des lettres souveraines d’érection ou de provisions, a toujours été si honorable, que les rois juraient foi de gentilhomme, parce que cette qualité doit renfermer toutes les vertus qui rendent la foi inviolable. Francois Ier, tenant un lit de justice, disait qu’il était né gentilhomme et non Roi ; et Henri IV, faisant l’ouverture des Etats de Rouen, ajoutait que la qualité de gentilhomme était le plus beau titre qu’il possédât. Le Roi était donc appelé avec raison le premier gentilhomme du royaume. Si, à l'inverse de l’abbé Sieyès, nous voulions soutenir que la noblesse est tout, nous avancerions un autre paradoxe ; mais malgré la suppression de la noblesse comme corps privilégié depuis 1789, il paraît, à en juger par les jalousies mesquines quelle excite et par les efforts de tant de parvenus pour s’y affilier sournoisement, qu’elle est encore quelque chose. En fait, si l’ordre de la noblesse n’existe plus, de droit, dans l’Etat, il y a encore des gentilshommes. Les crimes et les guerres de la Révolution ont amené, il est vrai, l'extinction d’un grand nombre de families anciennes ; mais il en subsiste encore, et tous les décrets n’empêcheront pas plus un noble qu’un vilain d’être flls de son père. La noblesse est donc un fait indépendant de toute opinion, « car

  1. Ce mémoire composé à l’occasion de la loi du 28 mai 1858 contra les usurpations nobiliaires, a été publiée pour la premiere fois dans la Revue de Bretagne et de Vendée en 1858.