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L’ÉLÉGIE EN FRANCE AVANT LE ROMANTISME.

La tristesse est rêveuse et je rêve souvent !
La nature m’y porte, on la trompe avec peine.
Je rêve au bruit de l’eau qui se promène,
Au murmure du saule agité par le vent.
J’écoute… Un souvenir répond à ma tristesse,
Un autre souvenir s’éveille dans mon cœur :
Chaque objet me pénètre, et répand sa couleur
Sur le sentiment qui m’oppresse…
J’ai vu languir, au fond de la vallée,
Un jeune arbuste oublié du bonheur.
L’aurore se levait sans éclairer sa fleur,
Et pour lui la nature était sombre et voilée.
Ses printemps ignorés s’écoulaient dans la nuit…
L’ombre humide éteignait sa force languissante.
Son front pour s’élever faisait un vain effort ;
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allait porter la mort…
Vallée où je me meurs, votre triste influence
A préparé ma chute auprès de ma naissance.
Bientôt, hélas ! je ne dois plus gémir !
Déjà ma feuille a cessé de frémir.
Je meurs ! je meurs ![1]

Elle a déjà des vers trouvés, non point écrits, mais plutôt sentis et rêvés. Elle relit des lettres amoureuses :

… Feuilles chéries,
Doux et frêles garants d’une éternelle ardeur,
Muet enchantement des tristes rêveries
Où s’égara mon cœur ?[2]

Elle rencontre, comme Mme Dufrénoy, son amant dans un concert : mais combien elle est moins mondaine, moins préoccupée des musiciens,

  1. L’arbrisseau.
  2. Les lettres.