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reconnut la création de la mairie et la nomination par le roi du capitaine du château. Il avait d’ailleurs énergiquement revendiqué et maintenu ses droits sur ses domaines, mais à côté de lui des accords secrets engageaient à l’avance l’Anjou et même la Provence qui à vrai dire ne s’appartenaient plus, quand René rentra à St-Rémi (18 juin).

Il mourut au château d’Aix le 10 juillet 1480. Son corps fut déposé dans la métropole d’Aix, et pour le transférer, suivant ses vœux, à St-Maurice d’Angers, sa veuve dut ruser avec l’affection publique et le faire enlever de nuit. Le cercueil resta dissimulé durant tout le trajet dans la garde-robe de la reine II fut reçu le 18 août de nuit à Angers et les obsèques célébrées solennellement le lendemain. Le cœur fut déposé aux Cordeliers en grande pompe le 21, dans la chapelle royale de St-Bernardin, où cette relique vénérée demeura Jusqu’à la Révolution et alors « je l’ai vue, dit Blordier-Langlois, servir de jouet à des manœuvres qui se la jetaient les uns aux autres ». Le mausolée représentait le roi couché et sur la paroi voisine figurait son portrait en relief avec celui de Jeanne de Laval. Bruneau de Tartif. en donne le dessin, Mss. 871, f. 402, comme il donnait aussi celui des vitraux, représentant toute la famille royale angevine, aux fol. 407-412, qui ont été arrachés du Mss. Dès 1445, René avait préparé l’édifice de son tombeau même à Saint-Maurice, et l’œuvre était en grande partie terminée pour les sculptures en 1452 par Pons Poncet et Jacques Moreau. Les peintures par Coppin Delf ne purent être commencées qu’en 1472. L’œuvre en somme restait encore inachevée quand le corps du roi y vint rejoindre celui d’Isabelle. Les dessins qu’en donnent Bruneau de Tartifume, Gaignières, Lehoreau, attestent qu’on y dut travailler jusqu’après 1540 puisqu’on y voit figurer les nouveaux clochers dans le tableau de l’arcade centrale, attribué universellement à Vandeland, « un grand tableau à huille, dans lequel est représentée une Mort [le roi lui-même] — assise en un throne royal, couverte et affublée d’un grand manteau de drap d’or frizé et fourré d’armines, descendant jusque sur ses pieds et ayant les deux coudes sur les deux bras dud. throne. De son chef un peu panché semble tomber une couronne d’or et auprès de ses pieds gist un sceptre et un monde renversé ». — Sur la table, en marbre noir, reposaient les statues en marbre blanc du roi et de la reine, et sur trois faces décorées de pilastres se détachaient deux écussons aux armes d’Anjou et de Lorraine ; plus bas une table d’or en fond d’azur portait inscrit, outre la chaufferette symbolique, qui se retrouve, avec la devise : d’ardent désir, aux pilastres latéraux, sept vers latins de méditation philosophique. Le tombeau mesurait 3 pieds en hauteur sur 8 de longueur et 5 à 6 de largeur. Il s’élevait sur un des côtés de l’abside, dans un enfoncement à la gauche du grand autel. Des dessins en existent dans Brun, de Tartif., Mss. 871, f. 77 ; Berthe, Mss. 897, t. I, p. 74 ; Gaignières, coll. d’Oxford, reproduit dans les Mém. de la Soc. d’Agr., Sc. et Arts

d’Ang. en 1866. — V. aussi Montfaucon, t. III, pl. XLVII, p. 254 et Villeneuve-B., t. III, p. 178. — mais le meilleur reste inédit au tome III du Mss. de Lehoreau. Lors de la transformation du chœur à la romaine le monument devint gênant pour les projets du Chapitre, qui obtint en septembre 1779 l’autorisation de le déplacer. Il fut transféré en janvier 1783 dans la nef, sous une arcade fermée d’une grille, avec le tableau, qui fut pour sa destination nouvelle raccourci par un menuisier (G 272, p. 349), — ce qui démontre amplement qu’il ne s’agit pas d’une fresque comme l’ont prétendu Bargemont et Quatrebarbes, — le tout détruit en 1793 et les marbres employés plus tard pour partie à la confection des cheminées de la Préfecture ; mais le caveau qui contenait les corps, dès lors oublié à distance du tombeau et caché par la boiserie du nouveau chœur, y abrite encore intact et scellé, comme au premier jour, son trésor ignoré même des Angevins.

Ce résumé, que des travaux récents m’ont rendu facile, rend mal en son aridité l’idée d’une vie tout à la fois si agitée et si brillante mais qu’ont travestie à plaisir la fade admiration de ses nobles historiens. On a fait de René un type d’idéal paladin, doublé d’un troubadour sentimental, qui ne quitte la lance et la lyre, voire la boulette, que pour venir rendre la justice ou semer des bienfaits. Je l’imagine un tout autre homme, de jeunesse ardente et vive, mais égoïste et réfléchie, vaniteux et prodigue, ami des aventures, insouciant des affaires, de foi, quoi qu’on en ait dit, peu sûre, incertain dans ses entreprises, brusque et fantasque à les violenter ; et la male chance constante, qui mit à tant d’épreuves son courage éclatant de chevalier, lui conquit, mieux que le succès sans doute, les sympathies populaires. Il en dut une meilleure part encore à sa galanterie et à son amour des dames, — « damoiselles et bourgeoises », il l’avoue, — qu’il servait d’ailleurs sans étalage ni affiche, et comme il le dit lui-même en « coquin d’amours », à la douce merci de sou cœur. Au milieu même de ses élans de tendresse pour Isabelle, il avait eu de maîtresses inconnues deux filles tout le moins. Blanche, V. ce nom, mariée à B. de Beauvau, et Madeleine, mariée à Louis de Bellemare, plus un fils Jean, le bâtard d’Anjou, gratifié par lui du marquisat de Pont et mort dès 1536. — L’âge transforma cette tendresse en une bonhomie souriante, de bienvenue facile, qui alliée aux goûts tranquilles de sa nouvelle épouse, le fit s’habituer aux plaisirs nouveaux des loisirs champêtres, « comme planter et enter arbres, édiffier tonnelles, pavillons, vergiers, galleries et jardins, faire bescher et profondir fossez, viviers et piscines, pour nourrir poissons et les veoir nager et esbatre par l’eau clère, avoir oyseaulx de diverses manières en buissons et arbresseaux pour en leur chantz se délecter ; et pour certain, il fut le premier qui d’estrange pays feist apporter en France paons blancs, perdris rouges, connilz blancs, noirs et rouges, fleurs de œilletz de Provence, roses de Provins et de muscadetz et plusieurs autres singularitez, ignorées en Anjou auparavant ».