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L’AMOUR GREC

miroir amoureusement, mais sans complaisance, avec une attention aiguë, et envoie de lui au romancier naïf un portrait : « La bouche est assez grande, à lèvres rouges et grosses. L’inférieure est tombante : on me dit que j’ai la bouche autrichienne. Les dents sont éblouissantes, quoique j’en aie trois gâtées et plombées (heureusement on ne les voit pas) » etc. Le même qui décachète sa lettre et reprend la plume pour ajouter : « Je ne vous ai pas parlé de mes mains, qui sont véritablement superbes[1]. »

Et maintenant, imaginez un peu, dans Athénes, un androgyne de cet acabit, l’œil allongé au charbon et du fard sur la joue, se risquant à l’Académie, sous les oliviers sacrés, ou bien essayant de se mêler aux garçons qui se rendent en bon ordre, nus, chez le maître de cithare, en chantant l’hymne : « Pallas terrible, qui ravages les villes. » Il eût été hué, lapidé.

L’amitié antique, ainsi que l’explique Aristophane dans Le Banquet, n’est pas impudeur, mais bravoure, audace, virilité. Elle est aussi

  1. Proust eût aimé cela. Il aurait pu l’inventer. Dans son œuvre, ces notations eussent paru des traits de génie. Mais ici, non forgées, elles ne sont que répugnantes. Voilà qui donne à penser sur les différences de la littérature et de la vie, de l’artificiel et du naturel. Baudelaire, sur cet exemple, j’imagine, eût glosé longtemps.