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LES HOMMES-FEMMES

et, à la fin, dans un spasme, il s’écrie : « Je suis heureux ! »

Ces alternatives d’effronterie et de peur, d’abattement et de joie, cette hypocrisie à demi consciente, jusque dans l’intention qui semblait d’abord la plus sincère, qui peut-être même l’était, cette incapacité organique à parler franc, tout cela qui se manifeste assez platement sous la plume d’un jeune garçon sans génie, éclate, amplifié, luxuriant, dans les discours de Charlus, et y atteint à l’épopée. À l’égard des jeunes gens, Charlus affecte une impolitesse, une brusquerie incompréhensibles. C’est l’un de ses masques habituels. Envers ceux qui ne lui plaisent pas et qui cherchent à lui plaire, il a des mépris incroyables. Autre déguisement, sous lequel il savoure l’âcre plaisir d’une revanche. Mais, que paraisse l’objet de ses vœux, et, soudain, à cette dureté atroce, succède une soumission d’esclave. Proust a magistralement noté tout ce qu’il y a d’extrême dans les passions des Charlus. Ce je ne sais quoi d’absolu, que la femme amoureuse apporte souvent dans le don de soi-même se rencontre aussi chez eux, mais sous un aspect plus tragique, à cause de la contrainte sociale et de la fatalité aussi par laquelle ils sont condamnés presque