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CONCLUSIONS


N’exagérons rien. Dans la province française, le mal est généralement ignoré, ce qui ne signifie pas que la déviation y soit inconnue (nos provinciaux ne sont point si candides) mais, dans nos campagnes et nos petites villes, l’homosexuel conscient de son inclination se terre ou ne chasse qu’avec une extrême prudence ; et l’idée qu’une telle bizarrerie puisse se propager ne vient à l’esprit de personne. À Paris même, la menace est loin de se faire sentir partout. Il est des couches sociales où la notion d’un péril de ce genre n’a seulement pas pénétré ; d’autres où l’on a peine à prendre au sérieux la question, où l’on en rit à la gauloise, de ce rire de la santé qui découragerait Satan lui-même[1].

Néanmoins, le péril existe. Il est limité mais réel. Des deux principaux foyers de contamination que j’ai signalés, à savoir les salons et les cénacles, le deuxième aujourd’hui impressionne le premier beaucoup plus que celui-ci ne lui

    je veux dire plus intelligente, sur les volontés faibles. Celles-ci, dira-t-on, ne peuvent se reconnaître, elles sont perdues dans la foule enfantine. Eh ! bien, c’est l’enfance entière qu’il faut mieux protéger. Notre système d’éducation, unisexuel jusqu’à l’absurde, est à refondre tout entier, peut-être. Mais notre objet n’est pas là. C’est surtout en fonction de la littérature que nous avons étudié l’anomalie. C’est dans ces limites que nous nous tiendrons.

  1. Note D : Voici la petite aventure qui, à trois reprises, m’est arrivée. Je la conte parce qu’elle est significative et réconfortante.

    Un jour que je demandais à un employé de librairie une des brochures devenues rares que je jugeais indispensable à ma documentation, je surpris dans les yeux de cet honnête garçon un imperceptible sourire, lequel, de proche en proche, à la manière d’un rayon de soleil filtrant à travers la brume, se répandit sur le visage des autres commis et, pendant une seconde, éclaira d’une lumière moqueuse la boutique entière. Dans une librairie scientifique, c’était si inattendu que je crus m’être trompé.

    Une deuxième fois, la même chose m’advint chez un autre éditeur et dans une occasion identique. Impossible, désormais, de ne pas croire à cette réalité stupéfiante : à Paris, dans une maison d’éditions scientifiques, on ne peut s’enquérir gravement de certains ouvrages sans que l’œil de l’employé ne vous glisse, sous la paupière soudain baissée, un regard ironique.

    La troisième fois, ce fut pire : le commis ne trouvant pas dans ses fiches l’indication de l’ouvrage demandé, une jeune fille vint à son secours. Pendant qu’ils cherchaient ensemble, leurs corps rapprochés se poussaient du coude et du genou. La tête inclinée, essayant, sans y parvenir, de me cacher leur mimique, tous les deux se mordaient les lèvres, tant ils devaient faire effort pour contenir leur joie.