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SODOME ET GOMORRHE

aussi son compte. Bref, le succès de Proust devenait du meilleur Proust : il avait de ses bonnes pages la luxuriance, la proportion quasi-épique dans l’abondance du détail, l’ampleur minutieuse d’une fresque peinte avec un petit pinceau. Car chacun voulait avoir les clefs de l’ouvrage, on murmurait des noms, et les anecdotes se brochaient sur les anecdotes, et cela n’en finissait plus.

Que pouvaient, dans ce torrent de bavardages, les voix de nos censeurs ? Elles semblèrent isolées, tant elles avaient peu d’échos. L’intérêt de l’œuvre, il est vrai, était prodigieux. Le talent triomphait, qui seul est capable de donner au document vie et autorité.

Mais, à l’espèce de fureur avec laquelle on s’engoua de l’ouvrage, n’y a-t-il pas une autre raison encore ? Il faut qu’une nourriture soit attendue pour qu’on se jette sur elle à ce point. Jadis, l’aube surprenait nos aïeules dévorant La nouvelle Héloïse sans qu’elles eussent, de toute la nuit, éteint leur chandelle. Aujourd’hui, l’on fait son régal de Sodome et Gomorrhe. Ce qui ne signifie pas que les mœurs, au xviiie siècle, étaient beaucoup meilleures que maintenant. Mais, peut-être, dans la corruption, la femme avait-elle plus de part au jeu. Là, comme