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GIDE TÉMÉRAIRE

de conscience, la pratique journalière de la note intime. Amiel, protestant comme Gide, avait le même pli. Mais ce qui intéresse surtout Amiel, plus pédantesquement intellectualiste, moins artiste, c’est l’histoire de ses idées. Vierge encore à trente neuf ans, quand il cède enfin à « Philine », âgée alors de vingt-six ans, on plaint la pauvre fille[1]. Ce fort en thème je soupçonne que Gide ne le considère qu’avec irritation. Gide a horreur des sapins, qui prêtent au paysage, dit-il, « une sorte de morosité et de rigidité calviniste ». Amiel est un sapin, et de moyenne taille encore.

Mais Gide a un second mobile. Il en a bien d’autres : je parle ici seulement de ceux qui le déterminèrent en premier lieu. Le journal intime qu’on enferme dans un tiroir, n’assouvirait pas entièrement chez lui cet amour du Vrai qui est, avons nous noté, l’un des traits les plus saillants de sa nature, de l’une de ses deux natures plutôt.

Il est dans l’essence de la Vérité qu’une fois découverte, elle aspire à se répandre ; on ne peut la mettre sous le boisseau sans violenter

  1. Voir Amiel, Nouveaux fragments du journal inédit, publiés par Edmond Jaloux (1927) et le spirituel article d’Émile Henriot : Amiel amoureux (Le Temps, 25 janvier 1927).