Page:Porché - L’Amour qui n’ose pas dire son nom, 1927.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
GIDE AUDACIEUX

Comment ne pas éprouver quelque tristesse, quand, sur les copulations insolites de l’animal, sur les excentricités du chien ou les manèges auxquels se livrent entre mâles certains insectes fouisseurs, on voit un intellectuel du rang le plus élevé se pencher, non point avec l’impassibilité objective du savant, mais avec espoir et crainte, avec le souci cuisant de trouver dans ces spectacles des justifications pour lui-même, des apaisements peut-être.

À la vérité, tout est naturel, y compris la maladie et la démence et le meurtre. Ne savons-nous pas que la ruche est un palais à l’intérieur duquel, certains jours, on s’égorge. Dans la multitude d’horreurs dont s’accompagne ici-bas le bouillonnement de la vie, qu’est-ce qui nous autorise à choisir, dans la basse-cour ou sous la feuille, tel geste lascif de la créature animale, pour lui accorder la valeur d’une indication, d’un conseil ? À ce compte-là, pourquoi ne pas admettre également qu’une femme sanguinaire puisse se réclamer de la mante religieuse qui, après qu’elle est fécondée, tue et dévore son époux ? Les mœurs de cet insecte femelle sont, elles aussi, dans la nature. Elles font même partie, pour cette amazone, d’un rituel inséparable de la volupté.