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GIDE AUDACIEUX

ça mord, tremblerait de voir apparaître au bout de son fil une hydre gigantesque. C’est pourquoi l’inquiète un succès qui dépasse une certaine ampleur. Il craint d’être avalé par lui.

Cependant le zèle des anciens réformateurs le possède. Son idéal serait de faire des prosélytes en restant dans la solitude, sans que ses disciples, qu’il souhaite nombreux, se crussent autorisés à l’entourer de leurs piétinements et de leurs rumeurs[1].

À bannir du Corydon (extérieurement) tout subjectivisme, Gide trouvait un autre bénéfice : la portée du message, pensait-il, en serait accrue. La finesse, dans l’art de la propagande, c’est, en effet, que plus l’auteur paraît dégagé de son propos plus il a chance de convaincre. Il faut qu’il ait l’air d’exposer simplement des faits, en laissant à chacun la liberté de conclure.

Gide, comme on peut croire, n’ignore aucun de ces tours. Nous ne lui en ferons pas un crime, car le fond du procès est ce qui nous importe le plus. Pourtant, je dois avouer que, dans son

  1. Et ce qu’il y a de plus fort, c’est que ce résultat, il l’obtient. Gide est un agitateur qui parle de très loin et sans élever la voix, mais dont la tour d’ivoire est munie d’un puissant appareil émetteur : le talent.