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LA PRÉDICATION D’ANDRÉ GIDE

devenir insupportable, sur un coup de baguette du musicien, la symphonie recommençait. Et bientôt nous ne savions plus si ce que nous avions pris tout à l’heure pour une fièvre équivoque n’était pas simplement l’odeur humide du sous-bois ou celle des labours en automne.

L’art ne peut être poussé plus loin. Dire et ne pas dire. Inquiéter et apaiser. Ici la pointe et là le baume, ou tous les deux ensemble : l’hameçon tendu sous l’appât. Gide à présent se plaint des contraintes auxquelles il a dû, pendant si longtemps, soumettre l’expression de ses désirs. Mais qui sait si l’artiste, chez lui, n’a pas beaucoup gagné à cette hypocrisie forcée. Mot, qu’il faut prendre, bien entendu, dans l’acception la plus noble, celle dans laquelle art et feinte sont deux termes synonymes. Imaginez André Gide, à vingt-trois ans, libre de faire ouvertement profession de foi de ses goûts et des plaisirs qu’il trouve à s’y abandonner, et son style ne fût point devenu ce qu’il est, jusque dans la franchise aujourd’hui : ce merveilleux instrument plein de courbes, forgé dans les années prudentes ; lui-même n’eût point été, je parle ici esthétiquement, ce que le fit l’obligation d’une retenue continuelle, cherchant des biais sans cesse : le maî-