Page:Porché - L’Amour qui n’ose pas dire son nom, 1927.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
SODOME ET GOMORRHE

Proust lui-même, c’est Charlus, ce phantasme échappé au magicien, ce mythe déjà plus vivant, plus agissant que son auteur, c’est Charlus qui, d’abord, prit des précautions avec nous, jusqu’à cette année de 1921, où, sûre de la complicité des uns, de l’indulgence des autres et de la moquerie promise à ceux qui ne manqueraient pas de s’indigner, Sodome, en France, s’est démasquée.

Voilà ce qui constitue le fait nouveau. Cela, positivement, ne s’était encore jamais vu.

Dans une prosopopée, maintenant célèbre, et d’ailleurs magnifique, Proust évoquait toute une secte immense, avec son cérémonial, ses emblèmes, son langage secret, avec ses stigmates physiques et ses tares morales, ses notes d’infamie et ses marques d’honneur, et son inquiétude éternelle, son orgueil sans borne, son amertume incurable. Charlus, désormais, n’était plus seul : une espèce entière, la sienne, l’environnait, laquelle comprenait plusieurs races, de nombreuses classes, une multitude de variétés. La déviation de l’instinct, dès lors, n’apparaissait plus comme une exception, comme une singularité, une fantaisie d’aristocrate dégénéré : elle devenait une sorte d’obédience à une autre règle, une religion réformée. Cette