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L’INSTINCT ÉPURÉ

rapport, dans l’existence du poète, la période d’illumination, ce fut de 1861 à 1865, l’époque de la guerre civile entre les États du Nord et les États du Sud. Dès la fin de 1862, délaissant toute autre occupation, l’écrivain se fit infirmier volontaire, ou plutôt visiteur et consolateur des blessés. Ce sang jeune et viril coulant par tant de plaies, ces espoirs fauchés dans leur printemps, cet héroïsme gaspillé dans des batailles fratricides, tout cela lui fendait le cœur. Cependant, il s’imposait de sourire pour ne pas ajouter aux épreuves de ses enfants la vue déprimante d’un visage chagrin. « Il n’apportait parmi eux, écrit John Burroughs, d’après le témoignage d’un chirurgien militaire, ni sentimentalisme ni morale et ne parlait jamais à aucun homme de ses « péchés » ; mais il lui donnait quelque chose de bon à manger, avec un mot réconfortant ou un petit cadeau, accompagné d’un regard. Il avait une face rubiconde, des vêtements propres, et portait une fleur ou une branchette verte au revers de sa veste. L’été en traversant les champs, il cueillait une grosse botte de fleurs de pissenlit et de trèfle rouge ou blanc, les apportait et en parsemait les lits, pour qu’elles rappelassent aux malades le grand air et le soleil ».