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L’INSTINCT ÉPURÉ

elles hospitaliser toute la terre, embrasser les mondes et les consoler. Une aspiration aussi vaste ne trouve pas longtemps à se contenter dans le domaine étroit et jaloux des passions égoïstes. Nous n’entendons pas béatifier Withman, quoiqu’il appartienne, lui aussi, à la race des apôtres. Ce qui nous importe, c’est de noter, chez ce cœur généreux, un élargissement progressif du pouvoir d’aimer.

Bientôt, dans la personne de ses amis, les pilotes d’East-River, les cochers d’omnibus de Broadway, les compagnons typographes de Brooklyn, le poète entrevoit les premiers éléments dispersés d’une humanité meilleure. D’individuel qu’il était, le sentiment, d’abord, devient pour ainsi dire corporatif, et, dans cette seconde phase, la prédilection du démocrate va aux professions qui ont pour objet le transport incessant des foules par les rues et sur les bacs, ou la diffusion des nouvelles dans les masses citadines. Aux cochers il distribue des gants pour l’hiver et des paletots chauds, dont il a fait l’emplette sur ses économies. Souvent, assis à leurs côtés, sur le siège élevé d’où il domine le va-et-vient des voitures et les remous des piétons, il écoute en chemin leurs histoires, ou déclame dans le vacarme des vers de Shakespeare. Les mariniers,