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L’AMITIÉ PURE

pour oreiller à sa tête bien faite. De là cet accent qui détone d’avec la prudence ordinaire du ton, cette note qui n’est évidemment pas dans le clavier du scepticisme, émue, véhémente, pleine d’amers regrets, regret de l’incomparable ami disparu, regret aussi des flammes éteintes[1].



  1. Au nombre des amitiés masculines, ardentes et pures, nouées dans la jeunesse, on peut citer encore la liaison de Michelet avec un camarade de son âge, Paul Poinsot, lequel mourut à vingt-trois ans. « Cette amitié, écrit Michelet, a quelque chose dirai-je de romantique ? qui ne se trouve ordinairement que dans l’amour. Je cherche à m’expliquer cette touchante et singulière conformité d’âme. C’est une méprise du Démiourgos qui a réalisé deux fois l’exemplaire éternel de la même âme, pour parler comme Platon ».

    J’ai lu quelque part (mais sans avoir pu contrôler si le fait est exact) que Madame Michelet aurait refusé le Panthéon pour son mari en donnant comme une des causes de son refus que Michelet était enterré près de Poinsot.

    Ce sentiment de l’amitié exaltée, Gœthe aussi l’a connu. Tout différent est le cas de Wagner et de Louis II de Bavière. D’un côté, chez le malheureux prince (prototype éclatant de l’inverti scrupuleux, esthète et mystique), un délire sensuel, mélangé d’admiration extasiée et empoisonné de remords. De l’autre, chez le grand musicien, « adorateur de la femme », lequel avait dépassé la cinquantaine à l’époque où Louis II, âgé de dix-huit ans, l’appela auprès de lui, une courtisanerie intéressée, l’égoïste sentiment d’une faveur exceptionnelle, mettant fin aux soucis d’argent, aplanissant soudain toutes les voies devant l’œuvre prodigieuse à accomplir ; peut-être aussi une revanche de l’orgueil, la satisfaction d’être, après tant de déboires, recherché par un Roi ; le sincère bonheur, enfin, de l’artiste déjà grisonnant, qui se mire soi-même, avec tout son génie, dans l’adulation d’un jeune homme extraordinaire.