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L’AMITIÉ PURE

occupe si peu de place, une puissance n’a pas cessé d’agir, sans laquelle le sentiment n’aurait pas eu tant de vivacité, tant de feu. Cette animatrice, c’est la jeunesse. Montaigne avait vingt-six ans lorsqu’il rencontra la Boëtie, lequel était de trois années seulement plus âgé que lui. Quatre ans plus tard, Étienne mourait. C’est dans ce temps très court et dans leur plus bel âge que se place leur alliance : ainsi doit-elle à la chaleur du sang la soudaineté avec laquelle elle est née, et sa force.

Quand Montaigne commence d’écrire son livre, il approche de la quarantaine, et voici déjà neuf ans qu’Étienne n’est plus. Donc, ce n’est pas à proprement parler l’auteur des Essais que la Boëtie connut et aima, c’est un autre Montaigne, un Michel doué, certes, dès cette époque, d’un grand front bien meublé, mais un Michel encore tout fougueux, tout bouillonnant, plus déluré que méditatif, point livresque, faisant volontiers ses écoles hors des grimoires, dans toutes les occasions de la vie. De plus, lorsque, dans ses écrits, le Montaigne qui est le nôtre parle de son amitié pour la Boëtie comme il le ferait d’une véritable passion, ce sont des souvenirs qu’il évoque, ceux d’un temps où il n’avait pas encore délibérément choisi le doute