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L’AMITIÉ PURE

déterminante que nous éprouvons à la vue d’un inconnu ou à l’audition de sa voix est quelque chose qui ne se peut séparer des corps, qui tient à eux, ou du moins les traverse, comme une irradiation des âmes. Donc, pendant cette fête où Montaigne et la Boëtie se virent pour la première fois, un courant entre eux s’établit, rapide et dru, relié à leur enveloppe charnelle, et tout à fait indépendant de leur raison ou des idées qu’ils échangèrent. On conçoit que, s’ils eussent été des esprits purs, la relation d’une âme à l’autre eût été plus directe encore, elle eût été immédiate. Mais comme ils étaient des hommes, cela même qu’il y avait en eux de supérieur, d’immortel peut-être, ne pouvait s’exprimer ni communiquer que par l’intermédiaire de leurs sens. Ceci dit, c’est à ce rôle subalterne que les sens se bornèrent dans la formation brusque de cette noble amitié. Au surplus, comme pour rendre un tel lien plus spirituel, plus idéal encore, il semble que la nature n’avait pas doté la Boëtie d’un grand charme extérieur. Sa personne, au premier abord, offrait plutôt quelque « mésavenance », que corrigeait cependant une « brave démarche ». Et Montaigne non plus n’était pas un Adonis.

Mais, dans cette affection où la sensualité