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L’AMITIÉ PURE

nelle de la vie devant l’inconnu de la mort : « Michel ! Michel ! »

Nous savons, de reste, par les Essais, que ce sentiment personnel, original, non imité, à la mesure d’aucun autre pareil, ce sentiment enfin tout romantique, sans lequel, selon la Boëtie, il n’est point d’amour véritable, Montaigne, pour sa part, le transportait dans l’amitié, de telle sorte qu’il aurait pu reprendre à son compte les maximes romanesques d’Étienne, en les appliquant à leur liaison. Cet esprit, par ailleurs si pondéré, perd toute modération dès qu’il s’agit du sentiment qui le lie à son ami. Le pyrrhonien, ici, cesse de dire : « Que sais-je ? » Il se montre passionné, violent, excessif. Une entente comme celle qui l’unissait à son « frère », « il faut, déclare-t-il, que tant de choses se rencontrent pour la bâtir, que c’est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siècles ».

Comme certaines grandes amours, cette amitié, on s’en souvient, était née d’un coup de foudre. Sans doute, il y avait eu conjonction « d’esprit à esprit », et, de ce choc, l’étincelle avait jailli. Mais il ne s’agit point ici uniquement d’accord intellectuel ; toutes les sérieuses et solides raisons que les deux hommes avaient de s’entendre, voire de s’admirer, ne suffisent