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L’AMITIÉ PURE

n’y a encore pu arriver, et cette autre licence grecque est justement abhorrée par nos mœurs ».

Étienne, lui, amoureux de Mademoiselle de la Boëtie, sa compagne, n’avait point à l’égard du sexe féminin un mépris si enraciné. Mais il n’en est pas moins ferme sur l’article qui interdit aux femmes de s’immiscer dans les relations de deux amis. Le récit de ses derniers moments, tel que nous le lisons dans Montaigne, éclaire d’une lumière qui peut sembler aujourd’hui assez étrange cette subordination de l’amour conjugal à l’amitié masculine.

Atteint de dysenterie, ayant avec sa femme quitté Bordeaux pour sa maison des champs, la Boëtie, dès qu’il voit son mal empirer, mande auprès de lui Montaigne qui accourt aussitôt. L’ami arrivé, l’épouse, d’elle-même, s’efface. Dans la chambre du malade, une sorte de transmission des pouvoirs a lieu. Mademoiselle de la Boëtie, dans les larmes, prie Montaigne de la remplacer au chevet de son mari. Celui-ci, d’ailleurs, l’ordonne, car déjà, il le sent bien, son agonie commence : « Bonsoir, ma femme, allez-vous en. » Sur ce, l’épouse soumise, (et physiquement aimée, ne l’oublions pas) se retire incontinent. Montaigne demeure seul avec Étienne. Ainsi, à l’heure suprême, quand les sentiments