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L’AMITIÉ PURE

une incomparable matière à gloses et à discriminations.

Chez les Grecs, comme on sait, le même mot signifie à la fois « amitié » et « affection » en général. Aussi, les philosophes eurent-ils beaucoup de peine (et de joie, puisqu’ils ne laissaient pas d’argumenter) à dégager l’amitié au sens étroit de l’amitié au sens large, laquelle comprenait tout élan qui porte l’être à aimer. Longtemps après que l’analyse eût isolé l’amitié pure, le langage conserva les vestiges de l’ancienne confusion. De celle-ci des traces ont passé dans notre langue, qui sont visibles chez nos classiques. Mme de Sévigné, La Fontaine, disent souvent « amitié » où maintenant nous dirions « amour »[1]. Cette forme archaïque, de vieilles personnes, non sans grâce, l’employaient encore dans ma province, lorsque j’étais enfant, et je ne suis pas assuré que, de nos jours, l’usage en ait complètement disparu.

Quelque difficulté que la notion d’amitié pure

  1. Dans la fable des Deux Pigeons, l’ambiguïté n’est pas seulement verbale. Sainte-Beuve l’a finement noté, et la malice lui paraît charmante. Les deux pigeons, dit-il, « sont-ce deux époux ? sont-ce deux frères ? On ne sait pas bien. Ce pourrait être deux amis. Il se trouve, à la fin, que le poète a songé à des amants ». Proust aurait pu donner de la fable une autre interprétation encore.