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tout le reproche qu’il lui avait fait de manquer de cœur qui la navrait ! Il est bien vrai que l’idée qu’il pût souffrir de son état de santé ne lui était jamais venue. Toute sa vie, elle avait entendu dire : « Papa est faible, il doit se ménager, c’est la Sibérie qui lui a valu cela ». Et avec la conception à la fois étrange et cruelle que les enfants se font de l’existence, elle s’était imaginé que c’était dans l’ordre des choses. Voilà pourquoi l’aggravation venue récemment ne l’avait point frappée ; mais, à présent, elle revoyait avec un serrement de cœur les joues creuses, les yeux fiévreux de son père, et surtout cette expression résignée de lassitude qu’elle ne lui connaissait pas.

« Le potage de Mademoiselle va refroidir », murmura Stefanek à son oreille.

Elle fronça le sourcil, lui jeta un regard furibond.

« Eh bien ! qu’il refroidisse !… Enlève mon assiette,… je n’ai pas faim. »