Page:Pontmartin - Souvenirs d’un vieux critique, 9e série, 1888.djvu/316

Cette page n’a pas encore été corrigée
300
SOUVENIRS D’UN VIEUX CRITIQUE

une angoisse incroyable dans les familles, un effrayant tumulte dans la rue. Le fléau, comme on sait, sévit d’abord sur des victimes de condition obscure, sur des enfants du peuple. L’atmosphère était encore chaude de révolutions et d’émeutes ; il n’en fallut pas davantage pour éveiller dans les masses populaires les soupçons les plus insensés, les calomnies les plus sinistres. De jour en jour, la foule devenait si menaçante, que, du petit groupe réuni dans le salon de ma parente, rue de Vaugirard, partit cette parole étrange : « Vraiment, c’est à souhaiter qu’une personne haut placée, connue dans le monde parisien, soit atteinte et succombe, pour bien prouver à cette multitude affolée que ses soupçons n’ont pas le sens commun, et que les riches sont frappés comme les pauvres ! »

Ce vœu cruel ne fut que trop tôt exaucé. Une heure après, nous apprenions la mort de madame la générale Pajol, foudroyée par le choléra.

Ce qui me charme dans ces rapports annuels, c’est d’abord que l’ingénieux rapporteur s’entend merveilleusement î exprimer en deux lignes, non seulement ce qu’il pense* mais ce qu’il veut nous faire penser ; c’est ensuite que, ayant l’air de nous croire presque aussi spirituels que lui, il nous confie le soin de deviner ce qu’il ne peut pas et ne veut pas dire.

Un homme s’est rencontre… d’une audace extraordinaire, qui a eu le triple courage de publier des vers,