Page:Pontmartin - Souvenirs d’un vieux critique, 7e série, 1886.djvu/344

Cette page n’a pas encore été corrigée
330
SOUVENIRS D’UN VIEUX CRITIQUE

Dans une courte préface, mon confrère Charles Joliet nous le fait connaître et deviner.

Peut-on imaginer une physionomie plus attachante, une existence plus émouvante que celle-là ? Voici un enfant débile, que sa faiblesse semble dispenser d’études suivies, d’un travail régulier, d’une carrière active. Son intelligence précoce, mais maladive, donne le plus et refuse le moins. Il est de ceux pour qui l’on dirait volontiers que le superflu est nécessaire et le nécessaire superflu. On l’envoie à l’école ; il n’y va pas ; où va-t-il ? Le matin, il ne le savait pas lui-même. Le soir, il revient fatigué d’une course à travers bois ; il a rôvé au lieu de penser ; il a lu avidement, non pas le Conciones ou les Racines grecques, mais le livre de la nature qui peu à peu lui ouvre tous ses secrets.11 ne vous dira pas comment Cicéron s’y est pris pour attaquer Verres, ou Démosthène pour repousser Philippe de Macédoine ; mais il vous répétera, comme parle le poète, ce que le brin d’herbe dit au grillon, ce que l’abeille dit à la fleur, ce que l’oiseau dit à la branche où il a caché son nid. A ce jeu-là, il amasse une science à côté, plus riche en découvertes que la science acquise sur les bajics du collège ; et, chose étrange, ce rêveur est un observateur ; ce contemplateur sera un homme d’action, cet infirme va être un soldat, ce fantaisiste se soumettra à la discipline militaire, ce propre à rien, comme auraient dit ses professeurs, supportera les plus rudes fatigues, bravera les climats les plus meurtriers, saura s’acclimater à la vie la plus rude, aux spectacles les plus hideux, aux atmosphères les