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SOUVENIRS D’UN VIEUX CRITIQUE

entraîner à des scènes passionnées jusqu’à la licence, sensuelles jusqu’à l’indécence. Diderot, Laclos, Crébillon fils, Louvet, Casanova de Seingalt, ne procédaient pas autrement. Il n’y a rien de changé dans une littérature qui se décompose, dans une société qui ne cesse de conspirer contre elle-même ; il n’y a qu’un mauvais livre de plus. Mais, si le succès de cette espèce de livres doit se préjuger d’après l’attrait de certaines peintures excitantes pour un public dépravé, gâté et blasé, c’est à M. Zola que j’en appelle. Qu’il choisisse dans le tas. Qu’il prenne au hasard une patricienne déclassée, une demi-mondaine, une chanteuse de café-concert, une institutrice laïque, une curieuse à outrance, une meunière des moulins pardessus lesquels on jette ses bonnets, un viveur à tous crins, un dilettante du vice plus ou moins élégant, un Lovelace de haut ou de bas étage, un adolescent enfiévré d’imaginations érotiques, un casseur de toutes les assiettes et de toutes les vitres de l’antique morale, un amateur enragé du fumet, du faisandé et du pimenté, etc., etc. Quel attrait cette élite en sens inverse pourra-t-elle trouver dans des tableaux où s’étalent sans voiles non pas toutes les beautés, mais toutes les laideurs, toutes les infirmités, toutes les plaies saignantes ou purulentes de notre misérable humanité ? Alphonse Karr, qui ne passe pourtant pas pour une petite maîtresse, ne voulait pas qu’une maman dît devant lui : « Ma fille est montée à cheval ce matin ; elle a les genoux meurtris et les jambes rompues. » Il prétendait avec raison qu’une jeune