remplie[1]. A présent, c’est le poète, le poêle immortel, que je voudrais dégager des nuages qui assombrirent son déclin, mais qui n’ôtent rien à l’éclat incomparable de ses jeunes et radieuses années.
Lamartine ! Pour bien savoir tout ce que ce nom a pu contenir d’enchantements et de prestiges, il faut être né à la fin du premier Empire, avoir eu quinze ans quand parurent les secondes Méditations, avoir assisté, le cœur palpitant, dans le coin le plus obscur d’une des tribunes de l’institut, à cette séance de réception à l’Académie française, qui nous le montra, élégant et fier, éloquent
- ↑ Un ancien député, spirituel et éloquent, avait plaidé, dans la
Gazette de France, cette thèse obligée, le lendemain de la mort de
Lamartine : « Combien le grand poëte aurait été plus grand, etc. »
(Vieille chanson sur un vieil air.) Tour à tour appliquée à Chateaubriand, à Lamartine, à Victor Hugo, à Lamennais, cette thèse est
spécieuse, honorable, séduisante pour les esprits généreux ; est-elle
bien solide, et ne serait-il pas temps d’y renoncer ? Est-il juste de dire
à des hommes de génie, fatalement entraînés par les courants de leur
siècle, qu’ils auraient bien fait d’accepter des servitudes de partis,
dont nous-mêmes, esprits de second ou de troisième ordre, commençons à ressentir le joug avec une certaine impatience ? Impatience d’autant plus avouable, qu’elle est tout intellectuelle ? Ce
ne sont pas les Lamennais, les Royer-Collard, les Chateaubriand,
les Lamartine, les Victor Hugo, les de Vigny, qui ont abandonne la
Restauration ; c’est la Restauration qui les a abandonnés en s’abandonnant elle-même.
Qu’on me permette, à ce propos, un petit détail anecdotique. Lamartine disait un jour à un de ses amis le plus noblement dévoués : « Je vivrai cent ans. » — Hélas ! la prédiction ne s’est pas réalisée. Mais supposez qu’il fut devenu seulement nonagénaire, à la Viennet, auriez-vous dit en 1880 : quel dommage que notre grand poète ne soit pas resté jusqu’à la fin un pur légitimiste ! — La persévérance est une vertu ; le radotage est un malheur.