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que j’ignore, à vous expliquer comment se rapprochèrent ces deux cœurs avant d’avoir conscience de l’attrait qui les poussait l’un vers l’autre. Jamais amours ne furent plus honnêtes et plus tristes. À trente-quatre ans, Pierre Maurin était incapable de démêler ce qui s’agitait en lui : il n’avait jamais aimé ; il n’en avait pas eu le temps, et peut-être, depuis que le jour s’était fait dans son âme, avait-il repoussé, comme un malheur ou un crime, l’idée d’associer une femme à son avenir — et à son passé. Apollonie se croyait sincèrement appelée, dans son modeste cadre, à la vie religieuse, et tout ce qui pouvait l’en détourner lui inspirait un vague mélange de remords et d’épouvante. Aussi, ces étranges amoureux avaient-ils une façon particulière de se témoigner leur affection ; ils se fuyaient. Deux ou trois fois, je surpris la jeune fille essuyant ses larmes. Quant à Pierre, il se passionna tout à coup pour la chasse, sous prétexte que la table de Monseigneur était trop pauvrement servie. Il sortait avant le jour et rentrait fort tard. De temps à autre, il nous rapportait un coq de bruyère, un lièvre ou une couple de perdrix. Souvent, sa gibecière était vide, et, au désordre de ses traits, à son air de souffrance et d’abattement, je devinais qu’il n’avait parcouru la montagne que pour s’éloigner d’Apollonie et pour dompter l’agitation intérieure par la fatigue physique. Ce fut là leur seul roman, leur seule idylle.

— Ils me font pitié ! me dit un jour Monseigneur. —