presque nonagénaire, se faisait si vieille et si cassée, que sa nièce la suppléait, à l’évêché, du matin au soir. Apollonie avait alors vingt-deux ou vingt-trois ans. La mince et frêle fillette était devenue une belle jeune fille, un peu pâle, un peu originale, un peu mystique, mais pure comme les anges. À force de nous entendre dire : « Où est Pierre ? Que fait-il ? Est-il vivant ? Est-il mort ? » sa vive imagination avait fini par se passionner pour cet inconnu qui lui apparaissait comme un héros de légende ou une figure de saint sur la première page d’un missel. Elle ignorait, bien entendu, les antécédents de Pierre. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il se battait bien, qu’il était en danger, et que notre évêque avait beaucoup d’amitié pour lui.
Un soir, en mars 1814, j’étais avec Monseigneur dans cette même salle à manger, où, huit ans auparavant, j’avais assisté à un miracle de charité chrétienne. Rien n’était changé, sinon que le vieux Médor était mort et que Rosalie était à peu près aveugle. L’hiver s’était prolongé au point de nous entourer d’une immense ceinture de neige. Ce soir-là, les giboulées de mars ressemblaient à une véritable tempête. Le vent s’engouffrait dans le corridor avec des gémissements sinistres. Soulevés par de lugubres rafales, le givre et la neige battaient contre les vitres. Une nuit sans étoiles et sans lune. Quelques pas retentissants sur la terre durcie. Poussés par la faim, les loups s’étaient rappro-