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et d’Homère, n’ayant, pour ainsi dire, qu’une originalité de seconde main, et forcé de composer son miel avec des fleurs demi séchées au lieu de le cueillir en pleine floraison de l’Hymette, a cependant bien plus de prise que les Grecs sur nos imaginations et nos âmes, et restera éternellement le poëte préféré de tous ceux qui veulent retrouver quelque chose d’eux-mêmes sous les voiles divins de la poésie ? C’est que Virgile, retenu encore par les liens visibles du polythéisme, s’en échappe pourtant par maint endroit ; c’est qu’il se rapproche de nous par le mystérieux pressentiment d’un Dieu inconnu, d’une foi nouvelle, dont il anime, comme d’un souffle vivifiant et pur, ces dogmes envahis déjà par le froid de la mort et de la nuit. M. Leconte de Lisle, au contraire, ne paraît occupé qu’à les reculer encore, à les placer hors de notre portée, à les enfermer, dans toute leur immobilité sacrée, au fond de quelque antre de Thrace ou de Thessalie. On dirait un prêtre d’Apollon ou de Cybèle, une sorte de Démodocus antidaté, gardien ombrageux de l’orthodoxie mythologique, et croyant, comme dit Sganarelle, que tout soit perdu, s’il laissait altérer la pureté sacerdotale des traditions et des textes au contact de nos profanes regards et de nos idées modernes. Aussi ses Poëmes antiques, malgré des détails d’une beauté remarquable, forment-ils, dans leur ensemble, une lecture très-pénible pour quiconque n’est pas parfaitement initié à la généalogie officielle-ou apocryphe de ces dieux et de ces déesses, à cet Almanach de Gotha de l’Hélicon et de l’Olympe. Hélène, Niobé, Kîron, sont trois monuments dont je ne méconnais ni l’harmonie, ni l’élévation, ni la grandeur ; mais je passe vite devant leurs portiques déserts pour chercher plus bas, à mi-côte, en quelque repli de la colline, un peu de fraîcheur et d’ombre, un bouquet d’arbres, un humble toit d’où s’exhale un chant, un murmure, une fumée,